Paradoxal destin que celui d'Arnold Van Gennep, dont on entreprend
de rééditer le monumental mais bien oublié Manuel de folklore français contemporain. Aujourd'hui considéré comme un des pionniers de l'ethnologie française (1), Arnold Van Gennep (1873-1957) resta toute sa vie un savant atypique, marginal, et si son oeuvre commence à être reconnue, ce n'est pas à ses pairs ni à l'université française qu'on le doit. De son ouvrage théorique, les Rites de passage (1909), son contemporain Marcel Mauss dira: «Portée à ce degré de généralité, la thèse devient un truisme.» Pourtant le concept est désormais à la base de toute recherche ethnologique, et l'expression est passée dans le langage courant. De même, alors que son auteur fut de son vivant incompris par l'école sociologique française, alors dominée par Durkheim, et attaqué par plusieurs historiens des Annales, Lucien Febvre en tête, le Manuel de folklore a acquis à titre posthume l'envié statut de «lieu de mémoire» dans l'entreprise éponyme menée par Pierre Nora et son équipe (2). Comment expliquer un tel hiatus? Sans doute par l'itinéraire sinueux et le tempérament anarchiste du chercheur lui-même. Né Charles Kurr dans le Wurtemberg, Arnold Van Gennep a choisi pour pseudonyme le nom de sa mère, Hollandaise mariée à un lieutenant allemand descendant de huguenots français. Ses parents ayant divorcé, le jeune Arnold grandit à Lyon, puis à Nice. Très tôt, il se passionne pour la numismatique et l'archéologie et passe ses vacan