Il y a au moins trois bonnes raisons pour que les philosophes
pensent à Van Gogh: la première tient à sa peinture même, «pensée» par Vincent comme peut-être aucune autre auparavant , ce dont témoigne la monumentale correspondance avec son frère Théo; la deuxième relève de sa vie, rêvée, projetée, réalisée comme existence philosophique; la troisième résulte du couplage de la première et de la deuxième, du rapport entre la vie et l'oeuvre, entre l'artiste et le fou. Ces trois raisons, Jean-Clet Martin les fait siennes. Directeur de programme au Collège international de philosophie, ce philosophe est intéressé par un art qui ne voile pas l'immanence du monde dans le culte heideggérien d'une profondeur indicible. Un art capable donc de saisir à la surface ce que les choses ont à (se) dire. Le Van Gogh de Jean-Clet Martin devient alors un héros deleuzien, qui aurait poussé son devenir jusqu'à se faire «l'oeil des choses», dans une réalité où le monde et la chose ne se font plus ombre et ne cessent jamais de se répondre mutuellement.
Des Mangeurs de pommes de terre au Café le soir à Arles, le Van Gogh de Jean-Clet Martin est un essai de philosophie de l'art, au sens classique du terme, à l'opposé des actuelles esthétiques plus ou moins sémiotiques. La reproduction de quatorze tableaux n'est là que pour donner à penser (avec leurs détails de plus en plus serrés, jusqu'à suggérer un accès, par-delà la texture de la matière, à un espace où les couleurs s'affrontent, en constituant un