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Critique

En aval de Wahl

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Figure de la Sorbonne et défricheur philosophique, Jean Wahl (1888-1974) a transmis la pensée de Kierkegaard dans toutes ses tensions.
publié le 17 décembre 1998 à 16h41

Même embrasée par le feu politique, la Sorbonne restait sa maison. Il y avait été nommé à quarante-huit ans, en 1936. Au printemps 1968, il lui arrivait de s’y rendre encore. Des étudiants, le soutenant par les bras, l’aidaient à s’installer dans l’amphithéâtre, où se tenait quelque assemblée générale. Quand un orateur dénonçait les violences policières, il secouait sa canne en signe d’approbation. C’était un petit bonhomme au corps gracile, sec et vif, le cheveu en bataille, dont l’âge n’avait épuisé ni l’énergie ni l’enthousiasme.

De Jean Wahl, on publie aujourd’hui un Kierkegaard. Le volume collige la quasi-totalité des articles et conférences consacrés au penseur danois entre 1930 et 1960, dont certains inédits. Son intérêt est donc, d’abord, «historique», dans la mesure où il fait (re) découvrir, rétablis dans leur intégralité, les textes dispersés dans les monumentales Etudes kierkegaardiennes de 1938, dont on sait qu’elles inaugurèrent la «réception» française de Kierkegaard : autrement dit laisse voir l’instant même ­ et les modalités, et le contexte ­ où Kierkegaard, jusqu’alors «empêtré dans sa religiosité», «caché» par une «logorrhée un peu baroque», entraperçu dans une «ombre obscurantiste», se trouve défini comme philosophe et, une fois fixés ses rapports à Hegel, inscrit dans l’histoire de la pensée en tant que «tournant» décisif. Si Søren Kierkegaard a opéré dans la pensée contemporaine une sorte de «révolution copernicienne», c’est qu’à la place des abstractio