«Il n'était plus qu'une énorme plaie" les deux derniers jours à
l'hôpital" Je lui ai soulevé le bras et l'os a bougé, car la chair s'en était détachée" Des morceaux de poumon, de foie lui sortaient par la bouche" Il s'étouffait avec ses propres organes internes" J'enroulais ma main dans une bande et la lui mettais dans la bouche pour en extraire ces choses" On ne peut pas raconter cela! On ne peut pas l'écrire! Et c'était tellement proche"Tellement aimé"» C'est sur le prologue de cette voix d'amour au-delà de l'horreur que s'ouvre le nouveau livre de Svetlana Alexievitch, chroniqueuse-coryphée des fractures de l'ex-empire soviétique. Personne n'a oublié son ouvrage les Cercueils de zinc, tressage de voix autour de la guerre en Afghanistan et des soldats revenus les pieds devant. Et c'est aussi dans un cercueil de zinc que la jeune mariée de 23 ans enterre son amour en lambeaux de chair, victime de Tchernobyl. «Il y a un incendie à la centrale, je serai vite de retour», lui avait-il dit. Ce n'est pas la catastrophe que décrit Svetlana Alexievitch, mais «le monde de Tchernobyl», «habitants», «liquidateurs», «héros». Un tressage de voix encore une fois, un tombereau de mots lâchés par flux, un tombeau de petites tragédies domestiques d'une catastrophe cosmique où la douleur dit ce qu'elle peut dire, ne peut pas taire. La psalmodie multiple d'un choeur d'aujourd'hui dans l'amphithéâtre informe de Tchernobyl dont Svetlana ordonne la tragédie des monologues à travers une pudique co