Quand le lecteur français voit l'un des personnages de ce roman
policier allumer les brûleurs de son réchaud à gaz sans rien faire chauffer, il pense sans doute que c'est là quelqu'un de distrait ou bien qu'il y a du suicide dans l'air. Rien de tel. Le lecteur russe, lui, reconnaît l'un de ses gestes familiers quand, au début de l'automne, on se réchauffe au coin de la cuisine, sans regarder à la dépense. C'est la somme de petits détails de ce type qui explique, en partie, le succès des romans d'Alexandra Marinina en Russie (voir Libération du 25/12/1997). Chacun y reconnaît une part de son existence. Et se reconnaît (surtout les femmes: le gros des lecteurs de romans policiers en Russie) dans l'héroïne, Anastasia Kamenskaïa, dite Nastia. Ni supernana ni superflic. Pas non plus commissaire Maigret en jupon, bien que le héros de Simenon soit un modèle pour l'auteur. Le vieil amant régulier qui attend Nastia à la maison ne lui prépare pas des plats mijotés comme Mme Maigret mais des patates à l'eau. Nastia est une enquêtrice besogneuse qui ne tirera aucun coup de feu et qui a des problèmes de dos. Elle n'est pas hyperexcitée quand elle a l'intuition d'un détail qui compte, au contraire, cela lui donne des crampes d'estomac. Elle est comme ses lecteurs: avec ses bobos, ses déboires et son mal-vivre. Prenez le patron de Kamenskaïa, le colonel Gordeïev. Dans son bureau en plein centre de Moscou, il regarde par la fenêtre: «A travers la vitre sale, que personne n'avait lavée dep