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Libération
Critique

L'ivresse livresque

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A travers une course folle sur les routes d'Anatolie, le héros du nouveau roman d'Orhan Pamuk recherche en vain «la vie nouvelle» comme la terre promise par un livre mystérieux.
publié le 14 janvier 1999 à 23h09

«Un jour j'ai lu un livre, et toute ma vie en a été changée», la Vie

nouvelle commence ainsi, et c'est la première phrase pour tout le monde, pour le narrateur, pour l'auteur comme pour le lecteur. Et chacun peut craindre pour son matricule, ne sachant pas si c'est en bien ou en mal que cette vie change. Le narrateur a vingt ans, il s'appelle Osman et se laisse éblouir par ce livre dont on ne saura rien, disons pas grand-chose sinon sa lumière et son ascendant sur les esprits disponibles, et dont l'auteur ne se révélera au bout du compte guère à la hauteur des dégâts qu'il fit. Lorsque la Vie nouvelle parut en Turquie, en 1994, pour atteindre en quelques mois une diffusion de 200 000 exemplaires, l'éditeur fut assailli de demandes pour qu'il révèle et mette aussitôt sur le marché ce livre extraordinaire qui transfigure la vie.

Le deuxième chapitre commence par une nouvelle tout aussi brutale: «Le lendemain, je tombai amoureux. L'amour était tout aussi bouleversant que la lumière qui avait jailli du livre et m'avait frappé au visage, et de tout son poids, il me prouvait que ma vie avait déjà quitté son rail.» Osman est amoureux de Djanan, et Djanan de Mehmet, et Mehmet a disparu et Djanan disparaîtra bientôt. Puisque tout doit disparaître, la vie même.

Osman se jette sur les routes d'Anatolie, à la poursuite vaine de la lumière miraculeuse du livre et de l'amour, dans une Turquie de nuit et d'hiver, une Turquie de mauvaises routes et d'autocars mortifères, surtout si l'on s'ass