Il y eut un temps où toutes les ressources du droit (et du glaive,
dont on sait qu'il ne se départit jamais) étaient utilisées pour faire appliquer le contrat de travail non pas par les salariés mais par les entrepreneurs eux-mêmes. Les rôles s'étant inversés, on a du mal à croire aujourd'hui que pendant des siècles les patrons aient tout fait pour essayer de garder la force de travail au lieu de s'en libérer, soit en recourant au contrat, à l'intérieur d'un marché libre de la main-d'oeuvre, soit en s'en passant pour appliquer les formes les plus brutales de contrôle du travail dépendant du servage au travail forcé, à l'esclavage" A cette articulation centrale entre marché libre et statut bridé du travail et à son importance décisive pour l'accumulation capitaliste, Yann Moulier Boutang consacre un ouvrage important: De l'esclavage au salariat. Si ce livre d'économie historique fascine, c'est qu'il est déroutant. Non seulement parce que, à la lettre, il fait sortir des sentiers battus et ouvre des nouvelles voies, mais aussi à cause de son ambition inhabituelle et de l'ampleur des savoirs disciplinaires mis en oeuvre pour la réaliser. Plus qu'à corriger la Grande Transformation de Karl Polanyi (1), son simplisme linéaire, Moulier Boutang s'emploie à en écrire une autre. En fait, De l'esclavage au salariat éclaire la constitution du marché libre et l'interpénétration progressive de la marchandise, de la monnaie et de la main-d'oeuvre mais il en écorne au passage le myt