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Libération
Critique

L'île des mots. «L'Archipel» de François Rosset isole et confronte deux personnages sortis d'une poubelle beckettienne. Parce qu'«il n'y a pas de désolation qui tienne». François Rosset, L'Archipel. Editions Michalon, 136 pp., 80 F.

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publié le 21 janvier 1999 à 23h15

Ils sont deux. L'un (peut-être) est debout dans une mer tourbeuse,

la tête seule dépassant, «sans demander son reste». L'autre (guère plus sûr) navigue sur un tronc d'arbre. Pas de son, pas de sens, il n'y eut pas de jour et il n'y eut pas de nuit, ces êtres abstraits se rencontrent et nouent un dialogue de pure négation: «Oublions de nous rendre sans plus tarder... ! A l'endroit qui ne diffère pas de celui où... ! Attendons! allons attendre d'un bon pas.» On craint au début le pire, la métaphore de cuisine, le genre de cocufiage du vieil art moderne où Beckett x Blanchot = (se payer) la tête à Toto. Mais il n'en est rien. Aussi abscons et obscur que paraisse au premier abord le texte, malgré l'impression de noyade au fond d'une toile de Böcklin qui s'en dégage, le charme opère ! avec un scalpel.

Si ce n'est pas le premier roman de François Rosset, trente-deux ans (qui a déjà publié aux mêmes éditions Un subalterne en 1995 et Négociation en 1997), c'est en tout cas son texte le plus mince et le plus épuré. Mais aussi le plus concentré, qui dure une «éternité», puisque c'est là que ça se passe si l'on en croit la première page. C'est donc l'attente. La rencontre n'est pas choisie, elle épuise l'un et l'autre des personnages: «Toute situation s'attarde, et tourne sur elle-même et ronge la volonté de ceux qui en sont partie prenante.» On dirait Achille et la tortue (vous vous rappelez: Achille ne rattrape jamais la tortue parce que, quand il arrive au point où elle était lorsqu