«Ah! que nous sommes malheureux! Ceux qui se disaient nos amis
crient d'ensemble: "Mort aux juifs et excitent la foule. Voilà trois jours que nous ne dormons pas, que nous ne mangeons pas. Ah quel malheur! quel malheur!» Datées de mars 1898 ces lignes furent écrites par une habitante de Bar-le-Duc, témoin horrifié des émeutes antijuives qui enflammèrent quelques jours durant la cité. Si l'on connaissait de longue date l'existence de cette vague d'antisémitisme qui déferla sur la France en 1898 (l'année de J'accuse, des Preuves de Jaurès et de la décision, prise en septembre, de réviser le procès Dreyfus), jamais la question n'avait fait l'objet d'une enquête détaillée. Soucieux de mesurer l'ampleur de ce «pogrome sans victimes», notamment dans les localités de province réputées assoupies, Pierre Birnbaum, spécialiste de l'histoire des juifs de France, s'est immergé au coeur des dépôts d'archives du pays, épluchant les feuilles locales et les rapports de police.
Ce «tour de France d'un genre nouveau», qui l'entraîne de Paris à Clermont, via Orléans, Bourges, puis de Nancy à Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes et Brest, a d'abord permis à l'auteur d'accumuler un immense matériau, inédit, et qu'il livre à l'état presque brut. Une masse d'articles, de rapports, de contes, de chansons, d'affiches et de placards, d'où s'élève la même et obsédante clameur: «A bas les juifs! Conspuez Zola! Vive l'Armée!», et qui raconte toujours la même histoire, celle d'un France généreuse mais n