Il y a plus de noir que de blanc dans les vignettes de Julie Doucet,
et ses personnages, presque toujours en pied, touchent les bords d'un cadre étroit et menaçant, c'est un peu comme si un Kokoschka sous acide gravait sur bois les aventures ratatinantes de Chloé dans la chambre de l'Ecume des jours. L'autre chose remarquable, c'est que c'est une des rares BD en VO québécoise: les «Maudit» (prononcer maudzzi) et autres «Comment t'aimes ça?» émaillant les bulles, on apprend peu à peu comment draguer en montréalais (ça commence par «J'trouve que t'as l'air gentille», ça continue avec «Je t'ai tout de suite pas mal aimée», ça se termine généralement en «Fuck you, t'es vraiment un salaud et un minable»), et l'on se prend à penser que ce serait un parfait grand prix d'Angoulême pour cette année, puisque, décerné lors du Salon du livre où le Québec sera à l'honneur, on ferait ainsi d'une pierre deux coups.
Questions d'amours nazes et de mecs merdeux, donc, puisque l'héroïne de Julie Doucet, depuis toujours, n'est autre que Julie Doucet et qu'elle puise dans son expérience intime la matière de ses «histoires véridiques», déboires cruellement dérisoires et totalement humains. Agée de 33 ans, elle a été à l'école de Crumb et du trash US, a traîné de Montréal à New York puis à Seattle et à Berlin. Les Changements d'adresses qui nous concernent la mènent ici du «C.E.G.E.P. [école d'art] du vieux Montréal» à New York, où elle part en 1991 rejoindre un «boyfriend» artiste qui s'avérera une