«Mes pieds ont pris racine dans le sol et composent, jusqu'à mon
ventre, une sorte de végétation vivace, remplie d'ignobles parasites, qui ne dérivent pas encore de la plante, et qui ne sont plus de la chair. Cependant mon coeur bat.» Cette citation de Lautréamont qui figure dans le second tome du Bibendum céleste (le premier a paru en 1994) pourrait servir d'exergue à l'entreprise de Nicolas de Crécy. L'univers fantastique qui baigne les aventures de Diego, le phoque tombé du ciel sur une planète en délire, témoigne de cet état hybride, métamorphique, qui semble être celui de l'humanité vue par le dessinateur. Car l'ordre ne règne pas à New-York-sur-Loire, ville verticale, dantesque, enchevêtrée, livrée aux forces apparemment antagoniques du bien et du mal. Mais le petit diable qui cite Lautréamont est-il si diabolique que cela? Et est-ce bien raisonnable, comme le pensent les pédagogues qui exercent sur la mégapole une dictature délirante, de vouloir à tout prix décerner le prix Nobel de l'amour à ce phoque unijambiste et quasi mutique qui erre flanqué d'un chien encore plus gras que lui? Mais tout est possible à New-York-sur-Loire: vertigineuse, néogothique, la cité prospère sur un réseau de canaux emplis d'essence, d'iode et de ferraille, les humains qui la peuplent jouent à l'ange ou à la bête, certains, tel le professeur Lombax, n'ont pour enveloppe corporelle qu'une grosse tête à face de lune. Quant au diable qui pourchasse le Bibendum parce qu'il y voit l'insupporta