Que la grand-mère se suicide, déjà ça la fout mal. Mais qu'en plus
elle se rate, c'est vraiment manquer de bol. Chez les Ding, on espère son séjour à l'hôpital aussi bref que fatal. Ils sont sept personnes à se partager vingt mètres carrés, soit quatre générations sous un même toit: ce n'est beau que dans un roman de Lao She. On est dans un roman chinois contemporain, et la vieille pue. Elle fait honte à son fils préféré, le cadet, Ding Rulong (Rulong veut dire «comme un dragon»), qui doit à cette ancienne chiffonnière sa belle situation de codirecteur d'une société privée. «Tant qu'elle vivra, elle nous fera tous chier», résume-t-il pour convaincre son frère de débrancher leur mère. Argument recevable. Outre qu'elle partage la chambre d'un des petits-fils, ce que la femme de ce dernier prend moyennement bien, l'ancêtre gâche la vie de son fils aîné, Ding Ruhu («comme un tigre»), en lui interdisant de se remarier. Il la loge et la nourrit, en échange de quoi, il est vrai, elle fait tout, la cuisine, la lessive sans machine, vider les pots de chambre, garder son arrière-petite-fille. Mais quel tyran! Ding Ruhu, brave quinquagénaire, oscille entre rancoeur et remords. Il se souvient du temps où aller voir une prostituée lui coûtait un demi-mois de son salaire de chef boucher dans un magasin d'Etat. Il se souvient de l'amie qu'il n'a pas eu le droit de ramener à la maison. Il se remémore enfin la dernière dispute, qui a conduit sa mère à avaler du poison rien que pour embêter