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Libération
Critique

La servante Tassine. Une histoire tissée de silence entre une servante et un maître italien du grand siècle: «la Demande» de Michèle Desbordes. Michèle Desbordes, La Demande, Verdier, 128 pp., 75 F.

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publié le 11 février 1999 à 23h42

Michèle Desbordes écrit du silence, du silence avec des mots. Elle

dit des gens qui se taisent, elle dit les mots que ces gens ne se disent pas, elle dit ce qu'ils ont l'air de dire, ou plutôt ce que leur air dit, leur air, leurs yeux, leurs gestes lents, leurs postures immobiles. Elle dit les mots tus, ceux que les gens gardent pour eux. Ils ont le coeur gros sous la toile, mais on ne le voit pas battre, il respire l'air du dedans, il respire la lenteur, le bruissement des tempes. Une lenteur extrême, un temps mort, un temps mort-né, non pas mort, alenti, seulement alenti, comme la cognée des coeurs sous l'emprise du froid, comme s'épuisent les fleuves au lit soudain trop large, ils cachent leur puissance au fond de leurs eaux lourdes. La Loire. L'écriture de Michèle Desbordes est du temps à l'état pur, à l'état natif, comme on le dit de l'or, et des gens qui sont nés, bien nés ou mal nés, dont la valeur sait atteindre le nombre des années, du temps subi, assumé en attendant la mort. Ici, dans la Demande, ils sont deux, elle et lui, innommés, lui le maître, elle née servante, ils s'observent sans s'épier, ils échangent des regards, peu de mots, et partagent au-delà de leurs naissances dépareillées la modeste et précieuse dignité d'être nés, et le devoir de la porter jusqu'à l'ultime instant, celui où le temps que l'on s'est résigné à ne pas retenir s'arrête dans le silence du coeur. Eternel instant dans la mort retenu.

Lui est un maître italien, peintre, sculpteur, architecte