Est-ce à cause de sa fulgurante réussite de marginal, sans maîtres
ni disciples, que Gabriel Tarde (1843-1904) endure encore aujourd'hui le plus tenace et plus immérité des oublis dont, peut-être, il commence à sortir? Rares sont en effet ceux qui, dans le siècle écoulé, ont pensé avec ce philosophe, sociologue, criminologue célébrissime en son temps, titulaire, au Collège de France, de la chaire de philosophie moderne obtenue contre Bergson, qui lui succédera en reconnaissant l'«unité et la profondeur de sa doctrine». Aussi une certaine «inactualité» de cette pensée pourrait-elle expliquer tant sa disparition accélérée que la présente résurgence. Pensée vite inactuelle chez ses contemporains, parce que trop tributaire du XIXe siècle pour son goût des grandes synthèses ! alors que les savoirs sont en train de se spécialiser, et que guerres et révolutions mettent à mal son optimisme quant au progrès harmonieux du genre humain. Pensée inactuelle en un sens plus fondamental encore, parce que trop en avance sur son temps, par la place faite au désir et à la singularité dans ses analyses sur la médiatisation croissante des sociétés, la transformation des foules en public, et l'unification progressive de l'humanité qu'allait provoquer la communication simultanée.
Tarde ou de Tarde? se demande Jean Milet dans l'ouvrage de référence (1) qu'il lui a consacré en 1970. Pas de particule: Gabriel Tarde n'en a jamais fait usage, contrairement à son père et à ses fils. Parmi les plus ancien