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Libération
Interview

Les effrois de Jauffret. L'auteur d'«Histoire d'amour» délivre au bout de dix-sept ans de travail son sixième roman, «Clémence Picot», long monologue d'une aliénée littéralement formidable. Rencontre. Régis Jauffret, Clémence Picot, Verticales, 414 pp., 110 F.

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publié le 11 mars 1999 à 0h05

«N'attendez pas qu'il soit mort pour lire Jauffret»: il rigole un

peu, il s'était offert une pleine page de pub dans Libé pour son premier roman, il y avait mis toutes ses économies, c'était en 1985, il avait 30 ans. Quand on lui fait remarquer que le slogan n'était pas jouasse, il se marre de plus belle et avoue ne pas passer une minute sans penser à la mort. Idem si on lui dit que tous ses livres sont pleins de couples stériles, déchirés, de la haine de l'enfantement: «La haine, je ne pense pas" Et qu'il y ait de l'aliénation dans le couple, ce n'est pas une révélation, non? Les gens sont malheureux mais on ne le leur dit pas. La pub ne parle que du bonheur. Or, je crois que l'art doit être le contraire du discours publicitaire. Aujourd'hui, avoir un enfant ou pas, c'est le principal problème des femmes. En avoir, ça modifie, voire handicape leur vie et ne pas en avoir, c'est une tragédie. Le seul côté moderne de Clémence Picot, d'ailleurs, c'est cette obsession de la procréation.»

Il faut oser en 1999 appeler un roman du nom de son héroïne tellement cela sonne XIXe siècle, façon Madame Bovary. Chez lui, où il nous reçoit, le premier tome de la correspondance de Flaubert traîne sur la table du salon: «Sociologiquement, Clémence Picot est un personnage du siècle passé, c'est le sens de cette phrase bizarre qui dit que son père est "issu d'une famille qui plongeait ses racines dans le XIXe siècle». Infirmière, Clémence a reçu une éducation résolument victorienne, sous le sign