«A seize ans, j'ai rêvé, comme beaucoup d'autres, d'une caméra légère et même invisible qui permettrait de filmer les rues de Paris, de jour comme de nuit, et qui capterait les visages et les paroles des passants, et les suivrait dans leurs aventures quotidiennes sans qu'ils s'en aperçoivent. Le film que je voyais se projeter sur l'écran aurait été à la fois un film de fiction et un documentaire: des histoires d'inconnus se déroulant dans une lumière naturelle.
«Le terme "prise de vue n'aurait plus eu de sens. La caméra aurait été si légère que l'on n'aurait pas senti son poids sur l'épaule et qu'elle aurait saisi les regards, les sourires, le mouvement des feuilles et des nuages, sans les geler sur la pellicule une pellicule si sensible qu'elle se serait laissée tout simplement imprégner par la vie.
«A l'époque où je rêvais de cette caméra magique, passaient dans les cinémas d'exclusivité des Champs-Elysées et des Grands Boulevards ou dans des salles plus secrètes comme les Agriculteurs les premiers films de la Nouvelle Vague. A travers deux ou trois d'entre eux, j'avais bien senti cette volonté de fuir le studio pour la rue et la lumière naturelle, et le désir d'atteindre ce point magnétique où documentaire et fiction se confondent. D'autres cinéastes, comme Rossellini, et plus loin encore dans le temps, Jean Vigo, étaient parvenus, chacun à sa manière, à ce mystérieux équilibre.
«Ceux de la Nouvelle Vague disposaient paraît-il d'un avantage sur leurs aînés: les cam