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Libération
Reportage

Qui n'a pas lu Nappaaluk?

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Née dans un igloo, Mitiarjuk Nappaaluk a appris à lire à 20 ans, n'a connu de livre que la Bible et de langue que l'inuktitut. A 68 ans, avec un seul roman publié, elle est «la» romancière de Nunavik. Deux expériences de l'écrit dans une culture amérindienne essentiellement orale et aujourd'hui menacée de disparition.
publié le 18 mars 1999 à 0h11
(mis à jour le 18 mars 1999 à 0h11)

A côté du détroit d'Hudson, sous le promontoire qui domine le fjord, des camions traversent le village pour y livrer l'eau douce pompée au lac voisin. Entre les bungalows posés sur des trépieds d'acier, le sol gelé interdisant de creuser des fondations, une petite femme trottine en serrant le col de sa parka. Elle contourne l'église anglicane, se glisse le long du réfrigérateur communautaire où s'entassent des monceaux sanguinolents de caribou et de phoque et des chapelets d'ombles de l'Arctique, puis pique sur un bâtiment bas caparaçonné d'aluminium. L'endroit a des allures de garage, et le père Jules Dion y cumule les fonctions de prêtre et de concessionnaire d'une marque de motoneige: ici, se trouve la mission catholique de Kangiqsujuaq à 7 000 km de Rome et à 2 200 km au nord de Montréal. Le prêtre d'origine belge y garde des bibles en inuktituk (la langue des Inuits) et des répertoires de pièces mécaniques. Au fond, derrière une cloison amovible, la chapelle du village.

Mitiarjuk Nappaaluk entre. Elle se signe. C'est ici que s'est noué, il y a une quarantaine d'années, son destin d'écrivain inuk. Un destin unique. A 68 ans, elle est «la» romancière du Nunavik: «le pays où vivre» (en inuktituk) est une région de 9 000 habitants aussi vaste que la France et qui occupe tout le nord du Québec au-delà du 55e parallèle. Mitiarjuk Nappaaluk a publié un seul roman en inuktituk, Sanaaq, du nom de son héroïne, une sage-femme (1). Sa traduction en français n'a été polycopiée qu'à