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Libération
Critique

Antonio Muñoz Molina. Mûrir à Madrid.

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Rencontre en Espagne avec Antonio Muñoz Molina, né en 1956, qui raconte, dans «Une ardeur guerrière», le crétinisme du service militaire. L'occasion de démonter les mécanismes de la soumission, pour un romancier obsédé par «les hallucinations du mensonge et de la mémoire».
publié le 15 avril 1999 à 0h43

Madrid envoyée spéciale

Aucune ardeur, rien de guerrier chez Antonio Muñoz Molina, quand il part pour l'armée en octobre 1979. Il a 23 ans, une licence d'histoire de l'art, une trouille de tous les diables. Il ressemble très exactement au jeune homme maladroit et perdu qui glissera comme une ombre dans le dédale de ses romans. Il n'est pas encore écrivain, il en a juste le désir, et la hantise de ne pas y arriver, infirmité qui se surajoute aux autres. Pas fichu de cligner de l'oeil pour tirer sur une cible, incapable d'un roulé-boulé, limite abruti. C'est par antiphrase que cette autobiographie du bidasse malheureux s'appelle Une ardeur guerrière, c'est par dérision et antimachisme viscéral que le sous-titre en est Mémoires militaires.

Dans l'entourage de Muñoz Molina, né Andalou en 1956 à Ubeda ­ la petite ville revient au fil de ses livres sous le nom de Mágina ­, il n'y a pas trente-six occasions de voir du pays: «Le service, c'était la littérature et l'épopée, le cinéma et le tourisme des pauvres.» L'enfant savait que ce versant du monde masculin ne serait pas pour lui. En somme, il n'est pas surpris d'affronter la «traversée sordide». Quatorze mois entre parenthèses, d'abord les classes, intimité bannie, arbitraire absolu, puis la caserne, moins désespérément violente mais tout aussi absurde. Les officiers, qui seraient bien en peine de mener un combat, ont pleins pouvoirs sur leurs troupes. L'ambiance, le décor importent: il s'agit du régiment de chasseurs de montagne