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Critique

Des Kleist à clef.Dans le premier volume des «oeuvres complètes» de Kleist, des «Petits écrits», articles et poèmes nationalistes. Où le conflit intime se fait violence politique.

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publié le 15 avril 1999 à 0h48

Kleist avait un phimosis. Ou peut-être pas, mais faisons comme si,

car c'est une parfaite métaphore de son rapport au monde. Il aurait été opéré en 1800 lors d'un voyage à Würzburg (1). Mais qu'est-ce qu'un phimosis? «Etroitesse du prépuce, nous explique le Larousse médical, l'empêchant de pouvoir être rabattu vers l'arrière pour découvrir le gland», d'où érections difficiles et douloureuses. Métaphore efficace d'un idéalisme tragique: on imagine en effet Kleist se faufilant de dépressions en étranglements, dans une recherche désespérée d'un impossible au-delà, plus vert que l'herbe de son propre jardin. La lecture mal digérée de Kant avait achevé de le désoler et de le convaincre que son «but ultime et unique s'[était] englouti», l'Eternité ayant sombré dans le relatif. Pour Georges-Arthur Goldschmidt, préfaçant le premier tome des oeuvres complètes, «la souffrance que Kleist s'efforce d'exprimer résulte de la non-concordance entre ce qu'on pourrait appeler la verticalité de soi et l'horizontalité du monde ["]. Le divorce entre la conscience intime et la réalité extérieure est radical; "ça passe ou ça casse»: phimosis, on vous dit.

Et ça casse, puisque, avec sa tête ronde de poupon pervers, Kleist avait pour habitude de proposer aux femmes un petit suicide en amoureux. Elles répondaient en général: «Non, Henri, pas ce soir, j'ai ma migraine.» Seule Adolfine Vogel accepta de devenir «Henriette» et de se faire farcir le coeur au pruneau, tandis que Kleist se tirait une balle d