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Libération
Interview

«Je pensais parler d'un innocent»

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publié le 15 avril 1999 à 0h43

Pourquoi partez-vous au service militaire avec des poèmes de Borges?

Il y a quinze jours, j'étais à Ubeda, ma ville natale, et j'ai retrouvé ­ ma mère garde tout ­ ce cahier où j'avais recopié, il y a vingt ans, des poèmes de Borges. La poésie, on peut l'emporter avec soi, la confier à la mémoire, elle est comme le degré extrême du bonheur de la littérature, le plus parfait concentré de la parole. Les classes, c'est le moment le plus difficile, alors on a le poème, on l'apprend, on a ça qu'on ne peut pas perdre. On perdait tout, nos cheveux longs, nos noms, notre identité; s'il nous restait quelque chose, c'était la possibilité de se réciter un poème.

A l'armée, vous ne vous entendez pas avec les étudiants. N'en étiez-vous pas un vous-même?

Je n'étais pas un étudiant comme les autres. Je suis fils de paysan, j'avais une bourse. J'étais conscient tout le temps du privilège d'étudier, je me sentais en marge, fragile, si je perdais ma bourse, je devais retourner à la campagne travailler avec mon père. A l'armée, j'ai trouvé les étudiants arrogants, ils disaient souffrir davantage car ils étaient plus sophistiqués. Ça m'a fait redécouvrir ce que j'avais oublié à l'université, où toutes les vies se ressemblent: la pluralité des vies possibles, et que la condition intellectuelle parfois nous écarte du monde réel.

Ecrire des romans rapproche-t-il de la réalité?

L'énergie de la littérature ne peut venir que du réel. Mais, quand on invente un roman, on construit, on bâtit, et ce processus