Il ferait bien comme ces scorpions qui, prisonniers d'un cercle de
feu, se piquent eux-mêmes «derrière le segment thoracique». Mais il n'en a pas la force. Il se raccroche à «sa kiné», dont la douce prévenance arrive encore à le «ranimer», aux souvenirs de promenades «dans les forêts en automne», à l'évocation de lointaines discussions avec Foucault ou Baudrillard. Il ressemble à un «skinhead», et M. l'appelle «mon bonze». De l'Hôtel-Dieu à l'hôpital de Garches, du fauteuil au lit: ses jambes n'ont plus de vie, et son corps, parcouru d'incontrôlables secousses, lui est devenu étranger. Il reste des heures à fixer «cette azalée aux fleurs fanées» qui agonise sur le bord de la fenêtre.
Jean-Michel Palmier est mort l'été dernier, à 53 ans, d'un cancer de la moelle épinière. Philosophe, professeur d'esthétique à l'université Paris I, il avait consacré l'essentiel de son oeuvre à la pensée et aux mouvements culturels allemands, à Heidegger, à Adorno, à Ernst Bloch, à Junger, à l'expressionnisme, à Gottfried Benn, Georg Trakl, Brecht, Klimt, Schiele, Piscator, et à l'histoire de l'émigration intellectuelle antinazie (Weimar en exil, Payot). Il avait entrepris un nouvel essai sur Walter Benjamin. Mais dans les derniers mois, incapable, «faute d'horizon», de se «projeter dans un travail théorique», il écrit seulement «pour ne pas mourir». Regroupées sous un titre emprunté à Adorno, ces Fragments sur la vie mutilée paraissent aujourd'hui: de petites notes qui font un bouleversant noctu