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Critique

Qui métisse qui?L'occidentalisation de la planète commence en pleine Renaissance européenne avec un immense brassage des êtres et des imaginaires dans le Nouveau Monde. Un essai sur le métissage par Serge Gruzinski. Serge Gruzinski, La Pensée métisse Fayard, 346 pp., 135 F. François Laplantine, Je, nous et les autres. Etre humain au-delà des appartenances, Le Pommier, 156 pp., 99 F.

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publié le 22 avril 1999 à 0h24

«Je suis un Tupi qui joue du luth"»: ce vers de l'écrivain brésilien

Mario de Andrade (auteur de Macunaïma) a accompagné la rédaction et revient à plusieurs reprises comme une ritournelle mélancolique dans les pages de la Pensée métisse de Serge Gruzinski, preuve par la poésie que l'on peut être Tupi ­ donc Indien du Brésil ­ et jouer d'un instrument européen aussi rare que le luth. Rien n'est inconciliable, rien n'est incompatible, et le mélange, parfois douloureux, est toujours possible. Pour mieux cerner ce «brassage des êtres et des imaginaires qu'on appelle métissage», Serge Gruzinski explore ici la rencontre de l'Espagne et du Nouveau Monde, au début du XVIe siècle, en pleine Renaissance européenne, en ce moment capital où a commencé le processus d'occidentalisation de la planète qui semble trouver son accomplissement sous nos yeux. A la fois champ d'observation et domaine de la pensée, le métissage est aussi l'objet de Je, nous et les autres de François Laplantine, une attaque en règle contre les notions d'identité et de représentation en tant qu'elles autorisent tous les enfermements dans des appartenances aussi pauvres que frileuses. Historien, Serge Gruzinski met à contribution le passé pour mieux comprendre le présent, alors que François Laplantine, anthropologue, fait volontiers le détour par l'ailleurs pour prévenir le futur; mais les deux démarches ­ qui mêlent l'histoire, la philosophie, l'esthétique, voire la littérature, en des proportions variables selon l