Menu
Libération
Critique

Voix de nuit. En 1941, Saint-Exupéry se met devant un Gramophone enregistreur pour raconter à Jean Renoir «Terre des hommes».

Article réservé aux abonnés
publié le 22 avril 1999 à 0h48

Terre des hommes est le meilleur livre de Saint-Ex, mais il n'est

pas franchement fait pour le cinéma. Il s'agit d'un recueil de textes. On passe d'un récit de survie à des circonvolutions moralistes, l'avion comme «instrument d'analyse» à l'égal de la charrue, et l'aviateur comme soldat en état de perpétuel dépassement de soi, tout un idéal de sublimation, de solidarité, si tous les gars du monde voulaient regarder ensemble dans la même direction. On retrouvera ça, un cran philosophique au-dessus, dans Citadelle, mais enfin, avec Citadelle, on n'est pas sorti de l'auberge, alors que Terre des hommes est palpitant.

Jean Renoir, qui débarque aux Etats-Unis le 31 décembre 1940, en même temps qu'Antoine de Saint-Exupéry, pour la bonne raison qu'ils se sont retrouvés, à Lisbonne, dans la même cabine de bateau, veut tourner Terre des hommes. Il le voit comme un antidote au nazisme. «C'est le chant d'espoir d'un homme, qui a les deux pieds bien posés sur le sol, et qui affirme que, en entrant au contact avec la terre ou avec les éléments, les hommes deviennent plus grands», écrit le cinéaste, installé à Hollywood, au producteur Darryl Zanuck. Ce contact, précise-t-il, «a quelquefois été la base de mon travail dans les films». Renoir, ce printemps 1941, part faire des repérages dans les marais de Géorgie pour Swamp Water (l'Etang tragique), ce qui paraît fou à Zanuck, on a tous les marécages qu'on veut en studio.

Renoir note dans Terre des hommes les passages les plus romanesques, les