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Critique

Avenue Jacques Derrida. Aller et retour, provenance et destination ... Y a-t-il une métaphysique du voyage?

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Dans «la Contre-Allée», le philosophe migrateur bouscule l'ordre rectiligne du monde.
publié le 27 mai 1999 à 1h12

C'est un curieux endroit, la contre-allée. Elle serait à l'artère ou au boulevard ce que la marge est à la page. Déserte, la marge encadre le texte, l'empêche de déborder, le contraint à s'en tenir à ce qu'il dit, dé-finit le sens. Déserte, la contre-allée met en évidence le sens unique ou double de la circulation, les flux de ceux qui s'en vont et de ceux qui reviennent. Griffonnée, annotée, noircie de signes étranges, la marge destitue, dé-situe ou resitue le texte et son sens, l'applaudit ou le blâme, le somme de dire ce qu'il ne dit pas. Peuplée de promeneurs, chemin de halage devenu lieu de l'arrêt et du stationnement, avenue sans sens ou à contresens, allée et venue, la contre-allée destitue l'ordre rectiligne du monde, décentre ses axes, rend absurde ou écarte de sa voie la logique de la destination.

Déconstruction, différance, dissémination, graphe, marge, trace" on sait le lexique de Jacques Derrida. Il s'enrichit aujourd'hui de «contre-allée». Des contre-allées, Derrida en a déjà ouvertes dans les grands textes de Platon, Heidegger, Aristote, Kant, Husserl, Marx ou Lévinas: dans Donner la mort, qui reparaît dans une version amplifiée, il en trace une autre ­ en une réflexion sur le sacrifice, le don, la mort, le suicide, le secret et la responsabilité poussée aux limites par l'exigence éthique ­ dans ceux de Jan Patocka ou de Kierkegaard. Mais, aujourd'hui, il laisse installer cette étrange «bordure» (à la fois abord, bord et débord) dans sa propre oeuvre, tout atta