Jorge Luis Borges meurt le 14 juin 1986 à Genève. Il a 86 ans.
Depuis quelque temps, un poème appelé Instants circule un peu partout dans le monde. On le lit bientôt sur des affiches, dans des assiettes et des journaux. Des amoureux et des amis se l'adressent pour s'enhardir. Il est très souvent attribué à Borges, y compris par des Argentins. Il se mondialise. Il devient même, chez beaucoup, son poème-connu-par-coeur. Le dernier vers indique l'âge de l'auteur: «Mais j'ai 85 ans et je sais que je meurs.» C'est un charmant et triste petit poème, écrit du haut de la vieillesse: le regret de n'avoir pas vécu plus fort, de n'avoir pas pris davantage de risques, s'y exprime (lire ci-contre). On songe un peu à Ronsard: «Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie», ou à Kipling: «Tu seras un homme, mon fils.» C'est un poème d'apprentissage psychologique, d'où probablement son succès. Sa plainte conviviale, son matérialisme et sa sentimentalité auraient dû alerter ses lecteurs: il ne peut être de Borges, et ne l'est pas (à moins, évidemment, qu'il ne le soit). L'écrivain a certes écrit un poème nommé l'Instant, publié en 1964 dans l'Autre, le même. Mais il n'avait que 65 ans, et cette méditation sur les roueries du temps et de la mémoire est d'une autre portée que la leçon de vie d'Instants. Citons simplement le dernier vers de l'Instant: «Le fugace présent est frêle et éternel./ N'attends point d'autre Ciel, ni d'autre Enfer non plus.» Pour Borges, chaque instant porte en lui profo