Constantin Cavafis aimait l'atmosphère odorante des rues et des bars
d'Alexandrie, la rigueur rythmée de la langue grecque, l'Antiquité tardive, certains jeunes hommes qu'il trouvait beaux et qui le faisaient rêver à plus. Dans l'Egypte de 1915, Cavafis n'a pas honte des ses amours, pas du tout («J'ai préféré rejoindre les alcôves secrètes,/ celles dont on a honte de prononcer le nom./ Mais ce n'est pas une honte pour moi car alors/ quel poète et quel artiste aurais-je été?»), mais ses amours le rendent mélancoliques parce qu'il sait que le grec n'est plus la langue majeure que ce fut à Byzance ou sous Alexandre, et que les jeunes hommes aussi sont mortels. En 1889, Cavafis a 26 ans, il accompagne dans la mort un ami cher de 23 ans: «et je pensais que je ne le verrais plus,/ au cours de nos belles nuits de débauche,/ se divertir, et rire, et déclamer des vers/ avec ce sens parfait qu'il avait du rythme grec;/ et je pensais que j'avais perdu pour toujours/ l'éclat de sa beauté, que j'avais perdu pour toujours/ le jeune ami auquel je tenais tant» La poésie de Cavafis se déploie tout entière sur ce fond de perte et d'absence. L'écrivain assigne explicitement à l'écriture la tâche d'occuper le terrain là où il n'y aurait sinon que du silence et de la mort. Chaque poème est donc un petit récit, une anecdote rapide, qui vise à ressusciter les défunts, à faire une dernière fois bouger les ombres. Une des ombres préférées de Cavafis est l'empereur romain Julien qui tenta, mais en