Imaginons Georges Duby romancier qui aurait écrit les Misérables
après la guerre, ou le général de Gaulle qui se serait contenté de raconter des histoires. Vilhelm Moberg, mort en 1973, est en Suède un monument, l'artisan d'une réconciliation nationale, sans avoir été autre chose que le créateur d'un patrimoine littéraire. En 1998, fêtant le centième anniversaire de sa naissance, ses compatriotes reconnaissants ont décrété meilleur roman suédois du siècle cette Saga des émigrants publiée entre 1949 et 1959, que les éditions Gaïa traduisent aujourd'hui intégralement (après une première version abrégée, il y a quelque trente ans) .
«C'est par son immense chronique d'un monde paysan qui sera bientôt définitivement révolu, qu'il s'est imposé aux lecteurs suédois en leur fournissant à tous un passé commun», explique Carl Gustaf Bjurström, grand spécialiste de la littérature scandinave, dans la notice Moberg du dictionnaire Laffont-Bompiani. «Un pays qui a de tels poètes ne risque pas de disparaître»: c'est déjà ce que dit, en 1941, Stig Dagerman, le futur auteur de l'Enfant brûlé, alors tout jeune militant anarcho-syndicaliste. Son enthousiasme est dû à A cheval ce soir!, best-seller de l'année, où Vilhelm Moberg, sous couvert de célébrer la rébellion d'un paysan au XVIIe siècle, parle de la résistance contre les nazis.
Sur une plus vaste échelle, sur le mode alterné de l'épique et de l'intime que restitueront avec beaucoup d'allure les deux films de Jan Troell (les Emigrants et le