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Interview

A quoi ça sert ?Parmi les divers usages de la littérature, Anne. F. Garréta et Alain Fleischer en proposent deux, qui montrent que les théories de la narration peuvent se révéler très pratiques. Les héros d'Alain Fleischer, dans «la Femme qui avait deux bouches», utilisent l'écriture pour faire la cuisine. Le narrateur d'Anne F. Garréta, dans «la Décomposition», se sert de Proust pour tuer le monde.

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publié le 23 septembre 1999 à 0h56

La Décomposition est l'histoire d'un serial killer dont l'arme du

crime est A la recherche du temps perdu. Le livre paraît neuf ans après Ciels liquides et treize après Sphinx qui avait révélé Anne F. Garréta (les trois sont édités chez Grasset). «Normalement, j'écris un livre tous les quatre ou cinq ans. Un manque. La raison en est purement personnelle, un deuil, un trou noir. C'était trop proche pour en faire de la littérature. Je ne tiens pas à raconter ma vie», dit-elle. Aujourd'hui âgée de 37 ans, Anne F. Garréta vit à Paris et est professeur de linguistique à Rennes après l'avoir longtemps été aux Etats-Unis.

Outre le rythme très particulier, sophistiqué et envoûtant, de la phrase d'Anne F. Garréta, avait frappé dans Sphinx l'indifférenciation sexuelle du narrateur. Dans Pour en finir avec le genre humain (Bourin, 1987), sorte d'essai tout en dialogues qui est comme «le négatif» de ses romans puisque, habituellement, les dialogues «irritent» Anne Garréta, il fallait prendre le mot «genre» dans son double sens. Madame de Saint-Loup apparaît dans la trente-septième phrase de la Recherche: le narrateur de la Décomposition tuera la trente-septième personne qui passera devant lui ­ pourvu que ce soit une femme. Pour Swann et Cottard, il faudrait que le calcul tombe sur des hommes. «Un pacte thanatologique vous lie à la grammaire (").» D'autres héros proustiens auront le même usage ­ jusqu'à ce qu'Albertine pose problème (on a tellement dit qu'elle était inspirée d'Alfred Agos