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Libération
Interview

Parmi les divers usages de la littérature, Anne.F. Garréta et Alain Fleischer en proposent deux, qui montrent que les théories de la narration peuvent se révéler très pratiques.

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Les héros d'Alain Fleischer, dans «la Femme qui avait deux bouches», utilisent l'écriture pour faire la cuisine. Le narrateur d'Anne F. Garréta, dans «la Décomposition», se sert de Proust pour tuer le monde.
publié le 23 septembre 1999 à 0h56
(mis à jour le 23 septembre 1999 à 0h56)

Agé de 55 ans, le réalisateur et photographe Alain Fleischer crée, avec la Femme qui avait deux bouches, un univers peuplé d'individus maniaques, autarciques et dont la bouche, ce qui y entre ou en sort, est le centre de gravité. Ce recueil de quarante-quatre nouvelles où le lecteur sera vite adopté, à défaut de s'y sentir confortablement chez soi, prend sa source dans une Europe centrale absente et intemporelle, baignée d'un inquiétant humour et du soleil mort d'un père invinciblement étranger. L'héroïne du premier texte, Valentina V., cantatrice à deux bouches, est ainsi capable d'une aussi habile que fatigante dialectique entre parole, sexe et nourriture (c'est en tout cas l'avis du narrateur, tout à la fois son demi-frère, ancien camarade de classe et mari qui a également épousé sa cause), épuisant cette combinatoire délirante dans des situations aussi non-sense que «d'avaler son petit déjeuner d'une bouche et se laver les dents de l'autre». Un autre pan de l'oeuvre est plus autobiographique. C'est par exemple le récit «Librairies et charcuteries» où l'auteur raconte comment son père, juif hongrois, nourrissait une double et paradoxale passion pour les cochonnailles de tous pays, faisant fi du casher, et pour Céline, malgré son antisémitisme structurel ­ avant de se demander plaisamment si, «dans une réalisation spontanée, libre, de ses goûts et penchants», son père n'aurait pas été «un homosexuel antisémite». Nous rencontrons Alain Fleischer devant un restaurant thaï fe