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Libération
Interview

Jean Rouaud «La compagnie des morts commençait à me peser»

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publié le 14 octobre 1999 à 0h58
Pourquoi avez-vous écrit sur la quatrième de couverture que ce livre clôt votre suite romanesque? Est-ce pour vous aider à résister à la tentation de la poursuivre?

J'avais tout à fait le sentiment en écrivant Sur la scène comme au ciel que je me livrais à un ultime inventaire, ce dernier regard que l'on jette avant de rendre les clés. J'ai utilisé à peu près tout ce que j'avais: mémoire, souvenirs, documents. Cela fait quinze ans que je travaille sur cette histoire des miens, de mes origines, et honnêtement il me semble en avoir fait le tour. Je ne vois vraiment pas ce que je pourrais rajouter. Les zones d'ombres qui demeurent, si elles demeurent, me vont très bien. Il s'agit d'une quête, pas d'une enquête. C'est en fait un soulagement d'en avoir fini avec cette histoire. La compagnie de mes morts commençait à me peser. Il me semble aujourd'hui avoir l'esprit moins chagrin, et sans doute plus apaisé. Ce livre-ci est un ultime complément, presque une table des matières, un mode d'emploi, pour circuler dans mes quatre premiers romans, une comédie des commentaires.

Vos cinq romans sont des romans de deuil, peut-être même vous ont-ils aidé à faire vos deuils (votre père, votre mère), à moins qu'ils ne les aient compliqués. En tout cas ce livre prolonge l'aventure, comme si faire le deuil d'un livre ou d'un cycle romanesque n'était pas aussi facile que cela...

Les Champs d'honneur était vraiment un roman de deuil. Je l'ai écrit dans un état de perte et de dénuement que je n'aurais pas envie de revivre. C'était entreprendre une plongée à la source du chagrin. Sans savoir où j'allais, me laissant porter par l'écriture, tout en étant pleinement conscient que sur le moment il n'eût pas fallu me demander d'expliquer, par exemple, la construction du livre qui m'était alors totalement opaque. C'est par la suite que j'ai compris son mécanisme ­et comment, la mort de mon père, je l'avais escamotée en parlant d'un autre Joseph Rouaud, mort à 21