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Libération
TRIBUNE

Ville mère

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par Charles JULIET
publié le 15 octobre 1999 à 1h11

Les rapports qu'on entretient avec la ville où l'on réside ne sont pas constants. Déterminés par les conditions matérielles et mentales dans lesquelles on se trouve, ils fluctuent, passent par des hauts et des bas, évoluent au rythme des saisons de la vie.

J'avais vingt-deux ans quand je suis arrivé à Lyon. Jusqu'alors, je n'avais connu que mon village et les casernes des écoles militaires. Aussi ai-je dû apprendre la ville. Apprendre à vivre en elle. Au début, elle m'a paru immense. Un redoutable labyrinthe. Où j'allais me perdre. Entrer dans un magasin, prendre un bus, être frôlé par des inconnus, tout était problème, tout était menace. Chaque sortie, chaque démarche, chaque face-à-face avec l'inconnu étaient vécus dans la crainte. Pour tenter d'apaiser l'angoisse qui m'étreignait, je fuyais le centre et marchais pendant des heures dans des rues mornes où, voilés de gris, les maisons, le ciel, les visages rébarbatifs me renvoyaient à ma solitude. Lorsque la fatigue survenait, je m'engouffrais dans un café où, inévitablement, régnait une ambiance sinistre, et, accablé d'ennui, je laissais des lentes minutes s'égrener. Assurément, de cette ville, je n'avais à attendre que refus et rejet. Mais les années ont passé, l'étreinte intérieure s'est desserrée, et j'ai fini par ouvrir les yeux sur une ville que je n'avais jamais vue. A la cécité a succédé un progressif intérêt. Puis mon regard s'est fait de plus en plus amical. Et je crois bien qu'il est maintenant celui d'un amoureux