Je ne me sens pas bien. J'écris, le matin, et quelqu'un me regarde. Ça fait un moment que ça dure et que j'écris contre ce regard, mais, aujourd'hui, c'est presque un détail, ce regard porte un nom: Le Pen. Le Pen est une figurine. Très bientôt, on en aura une autre, et une autre, ici et dans d'autres pays, de ces figurines gesticulantes et pauvres. Non, ce qu'il y a, c'est que je ne me sens pas bien. Ce n'est pas que ces figurines m'empêchent de respirer, ou d'écrire. Mais un jugement a été rendu. Dans l'indifférence quasi générale. Mathieu Lindon a écrit un roman, Le procès de Jean-Marie Le Pen, chez POL. Se demandant comment combattre efficacement le FN, ce roman fait la critique des stratégies habituellement employées par les associations antiracistes, les médias, et les acteurs, comme on dit, de notre société. Il met en scène un avocat, Me Mine, qui défend l'assassin d'un Arabe, en dénonçant Le Pen comme maître à penser et instigateur du crime. Le Pen a attaqué l'auteur et l'éditeur pour diffamation, lors d'un procès bien réel où Jean Echenoz, J.-M. G. Le Clézio, Philippe Sollers, Martin Winckler et moi avons témoigné en faveur de la liberté d'expression, de la liberté d'écrire et des droits du roman. En faveur de l'évidence, donc.
Et pourtant. «Quand ça va mal dans la société, la littérature est en première ligne» (Hemingway). Par le jugement du 11 octobre, POL a été déclaré coupable ainsi que son «complice», l'écrivain Mathieu Lindon (1). Et le titre du roman incriminé