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Critique

Djann tonique. Nouvelle traduction de «Djann» d'Andréï Platonov, dont on ne connaissait qu'une version caviardée par les oukases prolétariens. Andréi Platonov. Djann, suivi de Jokh, le filou.Traduit du russe par Louis Martinez. Laffont, «Pavillons», 240 pp., 139 F.

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publié le 21 octobre 1999 à 1h16

Voici Djann, en version nouvelle et intégrale, l'un des contes

majeurs du vingtième siècle. L'aura de son auteur, Andréï Platonov, ne cesse de grandir en Russie. Né il y a cent ans, mort en 1951 dans un oubli orchestré par les censeurs soviétiques, ressuscité à l'heure de la perestroïka, Platonov n'en finit pas de rajeunir, tant le souffle de son écriture (et dont son traducteur attitré, Louis Martinez, offre une époustouflante équivalence), échappe aux rides du temps, tout en érigeant la grande geste poétique du rêve communiste, figure moderne de la terre promise. Avec les figures récurrentes de hères errants, de bureaucrates du soviétisme relisant leur bible, de chantiers avec vue sur Babel, de quêtes du bonheur désespérées et d'ambiances nocturnes ou solaires sans pareil mais comme immémoriales.

C'est particulièrement éclatant dans Djann, son oeuvre la plus simplement magique. Sans doute parce que Platonov situe son récit en Asie centrale, au Turkménistan, dans la cuvette aride de Sary-Kamych ­ à deux pas de Ferdousi, grande plume persane; qu'il y narre la vie des presque sans vie du peuple Djann qui n'existe pas mais dont le nom veut dire «âme»; et suit comme son ombre Nazar Tchagataiev, un Djann qui a pu échapper au destin des siens, qui vient d'achever ses études à Moscou et est envoyé auprès de son peuple en perdition. «Qu'est-ce que je dois y faire, le socialisme?», demande Tchagataiev au secrétaire du Parti à Tachkent. «Et quoi d'autre, sinon?» répond ce dernier, «l'e