Cela s'intitule: «Un bébé provocateur»: un de ces récits éclairs
dont Kateb Yacine avait le génie. Une nouvelle en miniature, une aquarelle sans bavure ni rature. Un flash vivace: une anecdote un rien cruelle, propulsée d'un souffle où l'humour, ici tendre, là noir, le dispute à la superlative lucidité. Si ce texte de vingt lignes n'incluait une fugace morale en guise de chute, il pourrait voisiner avec les histoires de Raymond Carver. Il commence en style télégraphique: «Dans un tramway, en 1950, l'Européenne de Bab-el-Oued, avec son lourd couffin.» Or la nuance est infinitésimale entre télégraphie et poésie, n'est-ce pas? Voici donc avec ce tramway le début d'un article de journal paru en 1961, signé Kateb Yacine. Cet inlassable né en 1929 à Constantine, de parents bilingues, savait tout écrire. De tout et sur tout. En un tout ou en mille morceaux: il composa d'immenses choses longues comme l'étincelant et baroque roman Nedjma qui révéla avec fulgurance sa singularité de moderne: on le décréta d'emblée «premier grand auteur algérien», on le rangea même du côté du Nouveau Roman. Voilà plus de dix ans qu'il travaillait: depuis ce mois de mai 1945 où sa mère fut internée en psychiatrie lourde pour avoir cru ce fils chéri fusillé dans les manifestations pour l'indépendance à Sétif. Il avait été jeté en prison. L'automne suivant, à l'épreuve d'un amour fou mais à sens unique, il sut que, pour lui désormais, poésie et révolution ne feraient qu'un. En 1956, son éditeur français,