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Libération
Critique

Un tramway nommé Yacine Théâtre, écrits journalistiques, fragments: wagon posthume de l'oeuvre de l'Algérien à la superlative lucidité, dont le patronyme Kateb signifie écrivain. Kateb Yacine. L'oeuvre en fragments. Inédits rassemblés par Jacqueline Arnaud, Actes Sud, 446 pp., 169 F. Boucherie de l'espérance, oeuvres théâtrales. Seuil, 566 pp., 140 F. Minuit passé de douze heures (Ecrits journalistiques, 1947-1989) Seuil, 359 pp., 130 F.

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publié le 21 octobre 1999 à 1h16

Cela s'intitule: «Un bébé provocateur»: un de ces récits éclairs

dont Kateb Yacine avait le génie. Une nouvelle en miniature, une aquarelle sans bavure ni rature. Un flash vivace: une anecdote un rien cruelle, propulsée d'un souffle où l'humour, ici tendre, là noir, le dispute à la superlative lucidité. Si ce texte de vingt lignes n'incluait une fugace morale en guise de chute, il pourrait voisiner avec les histoires de Raymond Carver. Il commence en style télégraphique: «Dans un tramway, en 1950, l'Européenne de Bab-el-Oued, avec son lourd couffin.» Or la nuance est infinitésimale entre télégraphie et poésie, n'est-ce pas? Voici donc avec ce tramway le début d'un article de journal paru en 1961, signé Kateb Yacine. Cet inlassable né en 1929 à Constantine, de parents bilingues, savait tout écrire. De tout et sur tout. En un tout ou en mille morceaux: il composa d'immenses choses longues comme l'étincelant et baroque roman Nedjma qui révéla avec fulgurance sa singularité de moderne: on le décréta d'emblée «premier grand auteur algérien», on le rangea même du côté du Nouveau Roman. Voilà plus de dix ans qu'il travaillait: depuis ce mois de mai 1945 où sa mère fut internée en psychiatrie lourde pour avoir cru ce fils chéri fusillé dans les manifestations pour l'indépendance à Sétif. Il avait été jeté en prison. L'automne suivant, à l'épreuve d'un amour fou mais à sens unique, il sut que, pour lui désormais, poésie et révolution ne feraient qu'un. En 1956, son éditeur français,