Ça commence comme ça: «Ça n'a pas l'air de s'arranger mais je ne vais pas me ronger. C'est mon histoire. On est ici chez moi. On ne va pas me déloger comme ça. Se débarrasser du héros en trois coups de cuiller à mots.» Ça n'est pas complètement du français, ça n'est pas du québécois. Qu'est-ce que c'est que ça? Le nouveau roman de Réjean Ducharme, le plus secret des écrivains québécois qui écrit plus volontiers une chanson pour Robert Charlebois qu'il ne reçoit un journaliste ou ne laisse diffuser une photo de lui.
Gros mots est le dixième livre de Réjean Ducharme que publie Gallimard. Le narrateur, Johnny, vit avec Exa et leur relation n'est pas commode. Il a en outre une grande intimité avec «la Petite Tare», l'épouse de Julien, son frère adoptif, ainsi qu'avec Poppée, jeune fille peu farouche. Johnny est aussi le découvreur d'un journal intime dont l'auteur lui paraît vivre des aventures sentimentales, existentielles, semblables aux siennes, au point qu'il s'en considère comme un «alter ego». Il faut dire que, à la façon dont Johnny lit ce texte, on remarque chez le diariste des préoccupations proches de celles de Réjean Ducharme lui-même, quand il s'agit «d'échapper à la contamination culturelle, aux façons de parler devenues des façons de vivre, aux mots qui vous servent moins à vous exprimer qu'on ne se sert de vous pour s'exprimer à travers eux». Le narrateur devient exégète de ce texte trouvé par hasard, dont il ignore d'abord la date d'écriture mais dont il sera bien