Le succès n'apporte pas la gloire aux modestes. Ils l'esquivent, ils
s'esbignent. Ils se disent que peut-être ils valent mieux que cela. Le nom dit bien quelque chose, Gardel, non, Gardel, c'est le tango. Le vrai nom que Louis Gardel poussa vers la renommée n'est pas le sien mais celui de son personnage, «Saganne», comme si Sagan avait un féminin, comme si une intruse était venue se glisser dans la gamme entre Safrane et Mégane. Fort Saganne, 1980, cinq mille exemplaires par jour après un passage à «Apostrophes», du temps où la télévision faisait vendre des livres, des centaines de milliers, des petits bouts dans les livres scolaires, un film spectaculaire que la télé ressasse, Alain Corneau, Gérard Depardieu, Sophie Marceau.
«Fort Saganne» existe, dans le désert algérien, mais personne ne le sait, puisque sur les cartes, il s'appelle de son vrai nom, «Fort Gardel», comme Gabriel Gardel, le grand-père de Louis, mort à 26 ans, à la Grande Guerre, et dont Fort Saganne romance l'histoire: «Je vais vous dire ce dont je suis le plus fier: nous n'avons pas eu l'autorisation de tourner le film en Algérie, nous avons dû reconstruire le fort en Mauritanie, en pierres. Il est toujours debout et figure lui aussi maintenant sur les cartes du pays, sous le nom de «Fort Saganne», j'aime bien cette idée qu'un nom inventé devienne un vrai lieu géographique. Fort Saganne a changé ma vie, j'ai gagné de l'argent, je suis entré ici au Seuil, éditeur, je travaille pour le cinéma, je ne me plains