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Libération
Interview

«L'époque n'a pas cessé d'être barbare»

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Entretien avec l’historien marxiste britannique Eric Hobsbawm, auteur notamment du célèbre «Age des extrêmes».
publié le 28 octobre 1999 à 1h22
«Le 30 janvier 1933 est le jour où Hitler est devenu chancelier mais également celui où un enfant de 15 ans et sa petite soeur ont dû quitter leur école». En d'autres termes, quelle est la part de l'autobiographie dans votre travail?

Il y a évidemment un élément subjectif assez fort, du simple fait que j'ai vécu comme «spectateur engagé» la plus grande partie de ce «court siècle». De plus, mon livre est élaboré moins à base de littérature, de documents ou d'archives que de choses vues, de conversations, d'expériences. Il me semble que cela donne à l'«oeil analytique» de l'historien une dimension supplémentaire.

Vous êtes né l'année de la révolution d'Octobre.

Mais pas à Moscou, en Egypte! Il est vrai que le hasard même de ma naissance peut illustrer l'«âge des empires», qui est le titre d'un de mes ouvrages. Ma mère est issue d'une famille bourgeoise juive de Vienne. Pour son bac on lui a offert un voyage en Egypte. Mon père, fils d'immigrés, est anglais et vient d'une famille beaucoup plus pauvre. Il a dû aller chercher un emploi dans" l'Empire britannique, en Egypte justement. Mes parents se sont donc rencontrés là, juste avant la Première Guerre. Ils se sont mariés en Suisse, à Zurich, mais n'ont pu ensuite rentrer ni en Autriche ni en Angleterre, pays belligérants. Ils sont donc retournés en Egypte, où je suis né. Puis ma mère a eu la nostalgie de son pays, et nous avons déménagé à Vienne. J'étais encore un bébé.

A Vienne, lycéen, vous intéressiez-vous déjà à la politique?

Je n'étais pas très politisé. Mais on ne pouvait pas échapper à la politique, ni à l'atmosphère nationaliste, antisémite. Je dois dire que je n'en ai pas souffert. En Autriche, j'étais anglais, et non juif: pendant toute ma jeunesse, j'ai été traité comme un représentant des «gagnants» de la Première Guerre. Il est probable qu'à l'époque je