Sur la fin de sa vie, André Gide, avec une excitation policière que lui connaissent les lecteurs de l'Affaire Redureau et de la Séquestrée de Poitiers, avait accumulé les pièces d'un «Dossier G. S.» destinées à nourrir un essai sur Simenon. Curieuse fascination que celle qu'éprouvait depuis déjà longtemps l'auteurde Paludes pour un romancier populaire dont la production insolente s'était mise à l'intriguer lorsque Gaston Gallimard l'avait accueillie au sein de sa maison d'édition où, soit dit en passant, Simenon ne fit que des scores moyens. Gide était sans nul doute agacé de voir le géant des bibliothèques de gare paraître sous la couverture blanche, mais, dès qu'il eut fait la connaissance de ce Belge fébrile dont les ambitions littéraires dépassaient largement l'écriture des Maigret, il fut saisi d'un trouble certain face à une virilité d'écriture sans pareille.
Une correspondance s'ébaucha, relayée à l'occasion par des dîners en ville ou, pendant la guerre, à la campagne, dans des auberges où le malin Gide amenait des victuailles achetées au marché noir... Dire que le courant passait entre ces deux êtres que tout opposait vision du monde, sexualité, rituels d'écriture, etc. serait exagéré mais une curiosité mutuelle s'était activée. De son côté, Gide n'arrêtait pas de lire les romans de Simenon, lequel comme il l'avouera cyniquement dans ses Mémoires intimes feignait de s'intéresser à l'oeuvre de Gide tout en ne parlant que de lui-même et de ses livres.
Au fil de ce