Menu
Libération
Critique

Les champs d'horreur. Une analyse des mécanismes de banalisation et de sacralisation de la mort de masse lors de la Grande Guerre, qui ouvrirent la porte entre autres au nazisme. George L. Mosse. De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes. Traduit de l'américain par Edith Magyar. Hachette Littératures, 294 pp., 130 F.

Article réservé aux abonnés
publié le 9 décembre 1999 à 1h58

Né en 1918 dans une famille de la bourgeoisie juive berlinoise (son

grand-père avait fondé le Berliner Tageblatt), exilé après 1933 en Angleterre puis aux Etats-Unis, décédé en ce début d'année à Jérusalem, l'historien George Mosse demeure très mal connu en France, où seuls deux de ses livres ont été traduits. Principalement consacrée au nationalisme d'outre-Rhin, au nazisme et à ce qu'il a appelé «la crise de l'idéologie allemande», son oeuvre apparaît pourtant essentielle à la compréhension de l'histoire politique et culturelle de l'Europe contemporaine, comme en témoigne De la Grande Guerre au totalitarisme qui paraît aujourd'hui en français.

Ce titre, au vrai, ne rend qu'imparfaitement compte du véritable objet du livre, consacré aux morts de la Grande Guerre, au «culte du soldat tombé au champ d'honneur» et au «mythe de la guerre» auquel ces jeux de mémoire ont donné corps. Confrontation inédite avec la mort de masse, l'hécatombe de 14-18 exigeait en effet qu'on rende la tuerie acceptable, ce qui supposait un double processus de banalisation et de sacralisation de l'expérience de guerre. La banalisation ­ Mosse dit «trivialisation», ce qui en accuse le caractère vulgaire ­ passait par tout un bric-à-brac (romans populaires, images, spectacles, cartes postales, jouets, bibelots, souvenirs humoristiques, etc.), dont la fonction était d'exorciser la mort en nombre, de la déguiser en une sorte d'aventure palpitante et existentielle, capable de répondre à cet idéal de vitesse,