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Libération
Interview

Emmanuel Carrère «Une instance psychique qui vous précipite dans cet espèce d'enfer.»

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Romand vrai.
publié le 6 janvier 2000 à 21h56
Comment avez-vous procédé pour les noms?

Au début, j'avais envisagé une fiction, elle s'est effiloché et a fini par prendre la forme de la Classe de neige. A partir du moment où Romand m'a relancé, a répondu à ma lettre, il fallait entrer dans cette histoire réellement. J'ai changé très peu de noms, j'ai changé celui de l'ami (Luc Ladmiral, ndlr). J'ai eu très peu de relations personnelles, de vrais entretiens, en dix jours de procès, il se dit, et s'entend, et se sent énormément de choses, on ne ressent pas vraiment le besoin d'aller ensuite s'asseoir à une table pour faire répéter à des gens ce qu'à la barre ils n'ont pu dire que la gorge nouée. Cet ami qui a accepté de me voir m'a dit qu'il préférerait que je change son nom, et ça m'a arrangé. C'est un protagoniste qui a tourné un peu au personnage de fiction ­ la peinture qui en est faite me paraît assez proche de ce qu'il peut être, mais je me suis projeté dans lui: j'apprends demain que mon meilleur ami a tué sa femme et ses enfants et qu'il mentait à tout le monde, comment est-ce que je réagis? D'avoir changé son nom, j'étais plus libre d'écrire cet espèce de vertige.

Dans quelle mesure écrire cette histoire relève-t-il de la prière, ou du crime, qui sont les derniers mots du livre?

J'ai très longtemps ressenti qu'il y avait quelque chose d'impossible à raconter une histoire aussi effroyable si on ne laissait pas la possibilité, serait-ce de l'ordre du 0, 0001%, que oui, l'hypothèse de la rédemption soit vraie. C'est une chose que je ne pouvais que laisser ouverte. La position du livre est une position agnostique, mais je ne peux pas exclure complètement qu'au fond du tunne