Le titre était enfoui quelque part au fin fond de la page 94. Et
encore, Hervé n'en demandait pas tant quand Jérôme lui répondit: «Alors moi, Hervé, le jour de la fin du monde, une femme me cache.» Il a bien fallu que quelqu'un la trouve, l'exhume, cette phrase, et la tire jusque sur la couverture du livre, à la lumière du monde, et signe son geste en lettres rouge, Patrick Grainville, souligné.
Des phrases enfouies sous le flot d'autres phrases ne manquent jamais dans les livres de Grainville, comme les vagues sous d'autres vagues, les vagues qu'on ne voit pas et qui font la mer, la profondeur de la mer, plus que la surface et l'écume. Mais la tempête est parfois si forte qu'on en oublie ces corps lourds, submergés, ou coulés à pic comme les boîtes noires des avions tombés. Ces boîtes qui savent pourquoi les avions tombent du ciel, et ne le disent pas. C'est ça, la fin du monde, ce Boeing écrasé sur une banlieue voisine de chez Patrick Grainville, entre Défense et Sartrouville, ses 260 morts, 240 carbonisés dans la carlingue déglinguée, les vingt broyés dans leur vie sous le projectile monstrueux. Et cette survivante ravaudée, la copilote amoureuse, dont on recoud les moindres brûlures de ses fesses sur ses joues et qui a tout oublié. Et ces deux boîtes noires disparues avec la mémoire sèche des chiffres et des voix, des secrets moins secrets que les 260 vies fauchées par l'immense obus éclaté. Jérôme, le narrateur a volé la boîte noire des voix enregistrées dans le cockpit.