«Que ne puis-je être une fois encore une loutre, pour fendre d’un trait les eaux d’un torrent qui dévalent la montagne! dit l’impératrice. Trouver son chemin sans que nul ne vous le montre, comme le serpent sur la terre ou le milan dans les airs, voilà la béatitude; mais l’amour est davantage. S’attacher aux humains dit la nourrice, c’est se déverser dans un tonneau percé.» Danaïde récompensée, l’impératrice va tâcher d’abandonner son caractère magique pour conquérir une ombre et un amour humains. Né en 1874 et mort en 1929, Hugo von Hofmannsthal a d’abord fait de la Femme sans ombre un livret pour l’opéra de Richard Strauss. En 1911, il définissait l’oeuvre au compositeur comme «le riche présent d’une heure inspirée», un opéra «qui fut à la Flûte enchantée ce que le Chevalier à la Rose est à Figaro: ici comme là, non pas une imitation, mais une sorte d’analogie». Le conte lui-même, il ne l’acheva qu’en 1919. Sur ces mots, concernant l’impératrice: «Elle ignorait encore que, du talisman qu’elle portait sur son sein, les paroles de la malédiction avaient été effacées depuis longtemps pour être remplacées par des signes et des vers qui glorifiaient l’éternel mystère de l’enchaînement de toutes les choses d’ici-bas.» Dans sa postface, le traducteur Jean-Yves Masson dit qu’il «importe peu, au fond, que la Femme sans ombre représente, pour les manuels d’histoire littéraire, le dernier conte du romantisme allemand». Il s’interroge autrement. «Qu’est-ce qu’avoir une ombre? Qu’e
Critique
L’ombre pour proie
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par Mathieu Lindon
publié le 6 janvier 2000 à 22h07
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