C'est avec retard que parvient au public français le Libéralisme et
les limites de la justice (1982), l'oeuvre majeure de Michael Sandel, la critique la plus pertinente de la célèbre Théorie de la justice de John Rawls. Le débat entre les deux philosophes de Harvard s'est noué dans le contexte du mouvement pour les «droits civiques», dès les années 70, à une époque où le multiculturalisme, loin d'être perçu comme une menace, était une revendication porteuse d'espoir. Mais, si le contexte politique a changé, l'intérêt de la discussion théorique, portant sur les relations des communautés avec le droit, reste vif, dans la mesure où elle investit bien des problèmes du moment, comme la parité homme-femme, par exemple, les combats pour l'exception culturelle, ou encore l'endémique question de la laïcité de l'Etat cristallisée autour de l'interdiction du port du voile par les écolières musulmanes" Michael Sandel attaque le libéralisme déontologique et l'individualisme de la Théorie de la justice, en ce qu'ils produiraient un sujet moral incohérent. Fidèle à la tradition kantienne, Rawls décrit en effet un moi «désencombré», c'est-à-dire neutre, et apte, dans une «position originelle», à choisir équitablement. Mais, en même temps, il refuse l'aspect nouménal, transcendant, de ce moi, en introduisant une dimension empirique à la David Hume. Sandel démontre que ce montage est intenable. Le «libéralisme à visage humien» s'il est une jolie formule, recouvre une thèse contradictoire, car