Même installé à Paris, à des miles du Bronx où il passa son enfance,
Jerome Charyn se souvient de l'année 1949 de ses onze ans. C'est cette année-là que sortit sur les écrans le Samson et Dalila de Cecil B. DeMille. Ce film, il l'a vu en douce au cinéma Louxor si souvent qu'il peut le décortiquer, vous expliquer que Dalila, jouée par Hedy Lamarr, n'est pas une vraie salope, qu'à la fin elle tombe amoureuse «du géant qu'elle a abusé»; Charyn se laisse même à imaginer que Samson aurait pu être son oncle miraculeux ou son aîné aux cheveux longs «se battant contre les Philistins de Manhattan (ou de l'Ohio) qui se trouvaient détester notre petit comté. Après tout c'était un géant juif"».
C'est aussi l'époque où le petit Jerome, que ses parents appellent «bébé» et que ses condisciples en classe charrient pour ses grandes oreilles et surnomment Dumbo, l'éléphant volant, a fait connaissance d'une impressionnante brochette de malfrats, cinglés et autres monstres. Par exemple les trois rats du Louxor, trois étranges types qui hantent le sous-sol du cinéma. L'un d'entre eux, Mur, qui se travestit parfois en Dalila, tombe amoureux du vigoureux pompier qui l'a sauvé d'un incendie et demandera à Jerome d'intercéder en sa faveur. Il y a aussi le «roi Farouk», le caïd du quartier, un gros bonhomme fatigué qui, du fond de son bar le Chesterfield, distribue du soda au céleri dans tout le Bronx et résiste au «petit homme», Meyer Lansky en personne, redoutable patron de la mafia. Sans oublier T