J'avais lu le livre sans rien soupçonner mais, dès que l'affaire est
sortie, j'ai eu la conviction intime qu'il n'était pas Wilkomirski, qu'il s'était identifié à une histoire qui n'était pas la sienne. Sur quoi est fondée cette conviction intime?
Sur les éléments qui sont dans le livre d'Elena Lappin, mais aussi sur d'autres choses, plus troublantes. Entre autres les scènes atroces de Fragments: l'enfant jeté contre un mur, le rat qui sort d'un ventre de femme" Ces scènes sont tellement dures que la lecture en est presque insupportable. Dans cette monstration du sadisme, il y a quelque chose qui n'est pas si habituel dans les témoignages de déportés. Et puis, j'ai fait publiquement l'éloge de ce livre, à plusieurs reprises. Et pourtant, je n'en ai jamais cité aucun passage, ni dans mes articles, ni dans mon livre l'Ere du témoin (1998). Parce qu'il est incitable. C'est un livre qui ne pouvait pas être utilisé par un historien. Quand on a l'habitude de lire des récits de déportés et qu'on connaît l'Histoire, on suit: on se repère dans les lieux et dans le temps. Avec Fragments, c'était impossible; rien dans ce récit ne pouvait être cité. Qui a fait l'histoire de Wilkomirski?
En fait, il y a deux fabriques. D'abord sa fabrique personnelle. Bruno Dösseker a chez lui tout un centre de recherches sur l'Holocauste; il s'appuie sur des faits historiques avérés. Et puis, il a rencontré en Israël les gens du centre Amcha (le Centre israélien pour le soutien psychologique aux surviva