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Libération
Critique

L'affaire Wilkomirski.

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Auteur d'un témoignage convaincant sur son histoire d'enfant déporté, Binjamin Wilkormirski avait tout inventé. Est-il pour autant un escroc? Retour sur «Fragments»
publié le 2 mars 2000 à 23h07
(mis à jour le 2 mars 2000 à 23h07)

Bruno Dössekker est suisse et clarinettiste. Il a aussi écrit, sous

le nom de Binjamin Wilkomirski, un livre intitulé Fragments. Une enfance 1939-1948 (1), où il raconte sa terrible histoire d'enfant juif né en 1939 à Riga (Lettonie), déporté à Auschwitz à quatre ans et adopté par un couple de bourgeois zurichois. Seul problème: cette histoire n'est pas vraie. C'est ce qu'affirme après d'autres l'écrivain et journaliste londonienne Elena Lappin qui a enquêté sur Wilkomirski et publie les résultats de son investigation dans un livre intitulé l'Homme qui avait deux têtes (2). L'affaire pourrait s'arrêter là. Sauf que cette histoire fascine. Parce que Dössekker n'est pas un imposteur ordinaire et parce qu'il y a une réelle douleur dans son livre. Parce que l'écriture, la publication et le succès de Fragments mêlent l'extermination des juifs, le mal-être d'un enfant adopté, les pratiques sociales pas très glorieuses d'une Suisse bien sous tous rapports, les usages étonnants du monde de l'édition et le statut de la victime et de la tragédie dans notre société. Quand Fragments paraît en 1995 (en allemand, puis en anglais, en français"), il est accueilli comme un chef-d'oeuvre et reçoit des prix quasiment dans tous les pays où il est publié. La mère mourante qui donne un objet «inconnu, rude, dur», du pain, des bébés qui se rongent les mains, des rats qui sortent d'un ventre de femme... le texte de Wilkomirski a une charge d'émotion et d'horreur qui le distingue des autres témoign