Ce sera l'empathie, l'amour fou ou rien. Visitation, conversion,
théorème: «Qu'on n'approche pas une telle pensée sans savoir qu'on ne pourra la comprendre qu'en y subissant à terme toutes les conséquences existentiales; y entrer engagera tôt ou tard le visiteur dans une potentialité de danger.» Dès la première page, Mehdi Belhaj Kacem met le lecteur en garde. Ce sera la dévastation: «Ego consumimur», «je sommes consumés», détruits ensemble. Livre d'autodestruction dont «Frankenstein-le-Mehdi», «Médard», comme il s'apostrophe lui-même, dit avoir sacrifié non pas des pages ni des parties, mais des volumes entiers, ayant écrit-hurlé jusqu'à ne plus s'entendre («un vouloir-dire excessif m'embrouillait»), Esthétique du chaos se définit d'abord comme un «récit expérimental».
A savoir: qu'il faut l'expérimenter. Au début on n'y entend goutte, puis peu à peu ce livre abstrus s'éclaire, ou plutôt rayonne, il est vivant, et même viral, on est littéralement retourné, on sort de là exproprié, ravagé. Assoiffé, on le relit. La rencontre avec l'auteur n'est guère apaisante. Mehdi Belhaj Kacem, 27 ans, dont dix d'écriture, tour à tour poussin frileux et mal rasé qu'on a peur d'abîmer, puis noyau de pure énergie en fission, exterminateur, hallucinatoire, se rétracte, se déploie, martèle un inquiétant «C'est bien» d'une voix sourde quand on lui dit avoir été ébranlé par son texte, comme s'il allait se lever pour gifler son imbécile interlocuteur" Il bavarde, bafouille, rigole, dit préférer