Le roman est dédié à «Suzanne». La femme du narrateur s'appelle
Suzanne. L'étau se resserre. Le narrateur, lui, ne s'appelle pas Christian Gailly mais Sylvère Fonda, et encore, seuls ceux qui liront cet article ou le livre jusqu'au bout le sauront puisqu'il faut attendre la pénultième page (190) pour lire: «Sylvère m'a tué. C'est moi. Il est temps que je me présente. Sylvère Fonda. Enchanté.» Enchanté? Et nous de même. «Sylvère m'a tué», avec un «e» accent aigu, participe passé, d'ailleurs, à cet instant de la lecture, on sait qu'à cette mort, il s'est contenté de participer, dans un passé récent. «Fonda», passé simple du verbe «fonder», et famille d'acteurs notoire, Gailly a le génie des noms propres, usés comme des titres de standards de jazz, l'héroïne du roman s'appelle Rebecca Lodge, ce genre de nom d'actrice qu'on a vu dans des dizaines de films de l'Amérique des années 50, bien sûr que non, des noms d'une telle évidence sont forcément inventés, on se trompe sur toute la ligne, comme le narrateur, voyez plutôt page 22: «Je la croyais anglaise, ou américaine, avec un nom pareil. Elle était danoise. Je la croyais juive, séfarade ou ashkénase, ou les deux à la fois, si c'est possible, par alliance, je ne sais pas, je n'y connais rien. Elle était protestante. Je la croyais mariée à un conservateur quelconque, d'un musée quelconque. Elle avait épousé un marin. Le capitaine de corvette Pierre-Yves de Kerguélen. Je la croyais heureuse en ménage. Elle était veuve», tout le mond