Il y a trop de Lou. Lou a trop de visages, trop de masques. Il y a
trop de statues publiques en son jardin secret, qui en embellissent la géométrie, la déforment, la diffractent. Trop d'hommes autour d'elle: Paul Ree et Wedekind, Victor Tausk, Hofmannsthal, Arthur Schnitzler, et Nietzsche, et Rilke, et Freud. Elle les a passionnés, inspirés, ébranlés, fait vivre, menés au suicide. Ils l'ont décrite en muse, en génie, en ensorceleuse. En femme-splendeur, capable, par l'«intelligence de l'amour», de «traverser intrépide les mystères les plus ardents». En diablesse, en «vermine», en Messaline, pour laquelle «recevoir le sperme» était délice et «sentiment océanique». En déesse, en Madone aux sept voiles, vierge et immaculée, pur esprit se nourrissant de l'esprit de ses compagnons d'aventure. Lou Andreas-Salomé a écrit une vingtaine de livres, des poèmes, des romans, un Friedrich Nietzsche, un Rainer Maria Rilke, des études de psychanalyse, une centaine d'articles sur la religion, la philosophie, la sexualité" Elle a correspondu avec les plus grandes figures de son temps. Au moment de sa mort, Rilke aurait dit: «Demandez à Lou ce qui n'a pas été chez moi. C'est la seule à savoir» Mais, de Lou, «la plus intelligente de toutes les femmes», selon Nietzsche, qui aurait pu percer l'énigme?
Au soir de sa vie, après de longues années consacrées essentiellement à la psychanalyse, Lou Andreas-Salomé revient au travail littéraire et, en 1933, rédige une trilogie (Frères et soeur, Un journa