Le vrai sujet de Derrière les arbres et des Seigneurs de la nuit est
le temps. Ce qui n'est pas étonnant quand on connaît la langue arabe qui a plus facilement recours, dans la vie de tous les jours, à la durée qu'au métrage pour exprimer les distances. Le temps est une façon d'être au monde consubstantielle à la culture arabe. Mais là où l'Egyptien Mohammed El-Bisatie l'accélère, le réduit en miettes, le Syrien Salim Barakat l'étire, le malaxe, l'étale comme une pâte infinie.
Derrière les arbres est le deuxième roman traduit en français de Mohammed El-Bisatie. La Clameur du lac avait révélé son style plein d'ellipses, qui fait de lui l'un des auteurs contemporains les plus respectés. Ainsi, la construction de Derrière les arbres, en flash-back imbriqués comme des poupées russes, donne à son court récit la dimension d'une tragédie grecque. C'est l'histoire d'un fait divers, d'un adultère à peine esquissé, d'une vengeance qui ne peut pas aboutir. Mohammed El-Bisatie fait le portrait d'une Bovary du delta du Nil qui soudain s'éveille à l'amour: «Elle se complaît à l'engouement du garçon. C'est une chose suave et délicate, qui s'épanouit.»
L'auteur évoque aussi en toile de fond l'exode des habitants de la zone du canal, après la défaite face à Israël en 1967: ces réfugiés de l'intérieur, symboles d'un désastre qu'on veut oublier, se sont intallés là où ils ont pu, écoles, hôpitaux, mosquées" jusqu'aux mausolées de l'immense cimetière du Caire qu'ils ont squattés en masse.
Salim Bar